Elles naissent lentement de la brume et de la clarté, de la tache et de l’opacité. Les surgissantes créatures de Christophe Abadie disent l’humanité de l’enfance, et l’enfance de la peinture. Pulsions de vie, geysers de signes graphiques et mêlées chromatiques se confondent et s’étreignent. Ces êtres peints, vêtus d’espace et de peinture, apparaissent et disparaissent sur fond envoûté d’abîme et de chaos. Temps arrêté d’instants privilégiés. Irradiantes présences charnelles. Peinture souple, respirante, mouvante, complexe et lumineuse.
L’ombre s’arrache aux ténèbres, et la vie passante traverse l’étendue. Proximité de la béance… Christophe Abadie peint admirablement la genèse érectile des corps, et leur festive allure éruptive. Il sait s’arrêter à temps. Jamais il ne sature la vie sauvage des signes, mais jamais il n’éteint l’énergie incandescente de ses couleurs habitées. Haute peinture de haute densité, chargée d’élan et de pudeur, de ciel lointain et de boue ancienne. Subtils corps-paysages toujours surprenants d’impact, entre mélancolie et pureté, brûlure et précarité. La déflagration est poignante, car retenue. La brutalité des couleurs, comme le sang, s’est retirée.
Tous les dehors du monde ont disparu. Les corps, miraculeux et incertains, primitifs et contemporains, sont d’outre mémoire, loin du temps fabriqué des surfaces. Une masse picturale insondable, hétérogène et palpable, superbe de complexité, absorbe l’étendue, tandis que le magma sourd des pigments diffus sécrète la part enfouie de l’affect profond, insidieuse présence nostalgique, à jamais inassouvie. Ombres de chair vive traversées de fulgurances. Et l’art vit de ces braises chaudes.