Presse

Après le calme vient la tempête, la fougue libératrice, l’instinct créateur.

Place à une débauche cathartique de couleurs, de matières, de formes.

Retour à l’art cru, à une « mise en tension des éléments. »

 

Affranchi des poncifs intellectualistes, Abadie met à jour une peinture dévorante et carnassière, libérant des pulsions animales, déballant des chairs rougeoyantes. Dans ses toiles les plus récentes, mangeurs et buveurs se livrent à des orgies féroces, compulsives. Au menu : Le Goulu, Vorace, Le Banquet, Un festin, et une poétique Etreinte charcutière.

Au bonheur des ogres

Abadie connaît bien la peinture classique. Il a parcouru les musées d’Europe, admiré certains maîtres… et ravivé leur incroyable modernité. Ses festins picturaux évoquent Le Bœuf écorché de Rembrandt (1655) ou La Raie de Chardin (1728). Souvenir de ces chairs à vif, dépecées, meurtries, mais gorgées de vitalité.

Vient aussi la référence au chef-d’œuvre de Goya, peint vers 1820 et conservé au Prado, à Madrid : Saturne dévorant un de ses enfants. Le Titan exacerbe une voracité monstrueuse et une ardeur démente… de celles qui animent saint Jean-Baptiste, vu par Abadie. Monumental, à mille lieues de ses représentations traditionnelles, le prophète engloutit son agneau avec avidité. Cruelle ironie… Géniale insolence !

Sublime énergie, d’essence primale, insufflée par une gestuelle virulente et une palette jubilatoire de bleus, de roses, de mauves… quasi fluorescents. En témoigne le collectionneur et grand amateur d’Abadie, Jean-Michel Marchais, qui a longtemps dirigé la galerie Trafic (à Ivry) : « il y a quelque chose de la fête, d’assez enthousiasmant dans ces couleurs audacieuses, qui apportent de la lumière au sujet alors qu’il ne pourrait être que sanguinolent. »

Giclures et stridences

Jouissance et festivité font figure d’invitées récentes dans la peinture d’Abadie. Une saveur acide parcourt ses toiles plus anciennes, notamment les Emeutes, nées d’une expérience personnelle au cœur d’un mouvement de foule. De cet épisode angoissant ont émergé des peintures psychologiques à la force brutale : scènes brossées nerveusement, dressant des corps en torsion dynamique et des visages acerbes, sombres et douloureux.

Comme Beckmann, Grosz, et d’autres Expressionnistes allemands de l’entre deux- guerres, Abadie exprime la réalité d’une époque, le déclin d’une société, incarné dans la violence humaine. Violence qui explose au sein d’un diptyque (Emeute 8) achevé en 2007, et transformé deux ans plus tard. Le peintre décide à ce moment de poser la toile au sol et d’utiliser des matières très liquides.

 » Quatre côtés, quatre angles d’attaque. Je danse, je suis un chaman, mon pinceau un encensoir qui survole la toile. »

 

Le geste est convulsif. Giclures ardentes, telles des flammèches. Figures brutes, cernées d’épaisses lignes noires. « Stridences de Chostakovitch, tout s’accélère dans l’oubli de soi. Court moment de grâce aussitôt dissipé, mais le tableau est là, il ne m’échappera pas. »

Fin des émeutes. Passage à table… Les mangeurs n’attendent pas !

Par Marion Kling

Artension N°59

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